Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nérales, et traiter avec respect cinq ou six niaiseries qui sont encore les faux dieux de chaque carrière. On dirait que n’être pas important est une insulte pour tous les importants. Je crains bien que d’ici à quatre ou cinq ans ces dieux ne tombent à plat ; ce malheur arrivera quand il n’y aura plus dans les affaires que des hommes nés après 1789.

Je prévois une seconde cascade dans un avenir beaucoup plus reculé, d’ici à trente ans, quand arriveront aux affaires les hommes qui avaient quinze ans en 1828, à cette époque fatale où tout ce qui portait des gants osait appliquer le raisonnement aux vieilleries les plus vénérables. Mais alors les fils d’enrichis sauront lire, leur voix comptera en littérature, ce qui fera contre-poids au torrent de l’innovation.

Voici l’accident qui m’arrive : mon attention est empoisonnée pour toute une journée si je l’arrête sur des âmes basses, et les âmes basses qui se trouvent réunies à beaucoup d’esprit ne font que rendre le poison plus subtil ; de là mes imprudences par inattention.

Écrire ce journal le soir, en rentrant dans ma petite chambre d’auberge, est pour moi un plaisir beaucoup plus actif que celui de lire. Cette occupation nettoie admirablement mon imagination de toutes les idées d’argent, de toutes les sales méfiances que nous décorons du nom de prudence. La prudence ! si nécessaire à qui n’est pas né avec une petite fortune et qui pèse si étrangement et à qui la néglige, et à qui invoque son secours !

Jusqu’ici j’ai placé entre des crochets, pour être omis, tous les détails sur la physionomie de chacun des grands monuments gothiques, le seul ornement des paysages de France. Que de choses à dire, par exemple, de la cathédrale de Clermont !

La pluie à verse qu’il fait ce soir (se figure-t-on quelque chose de décourageant comme la pluie à verse qui tombe à grand bruit sur le pavé d’une laide ville de province, à sept heures du soir ?) la pluie donc me donne le loisir, et qui plus est l’audace de présenter au lecteur :