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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

voyage de dix lieues. Et je n’ai pu donner qu’une heure et demie à cette ville de Clermont ! Sa position rappelle les plus jolies villes de la Suisse, avec cette différence, en sa faveur, qu’elle est bâtie en lave, et que la présence d’un volcan, même éteint, imprime toujours au paysage quelque chose d’étonnant et de tragique qui empêche l’attention de se lasser. Il me semble que le lecteur est d’avis que rien ne conduit aussi vite au bâillement et à l’épuisement moral que la vue d’un fort beau paysage : c’est dans ce cas que la colonne antique la plus insignifiante est d’un prix infini ; elle jette l’âme dans un nouvel ordre de sentiments.

Mon séjour si bref à Clermont a encore eu le temps d’être pollué par des plaintes. J’étais dans le ciel ; cette réclamation d’une maison de nos amies contre une autre maison également amie m’a fait tomber dans la boue. Quand serai-je assez riche pour n’avoir plus de rapports forcés avec aucun homme ? La postérité dira : L’envieux dix-neuvième siècle ; c’est la triste épithète qu’il mérite en France. Tous les tracas d’aujourd’hui étaient excités par l’envie.

Si j’avais huit jours à moi, il me semble que je les emploierais fort bien dans les Cantals aux environs de Saint-Flour. Il y a là des solitudes dignes des âmes qui lisent avec plaisir les sonnets de Pétrarque ; mais je ne les indiquerai pas plus distinctement, afin de les soustraire aux phrases toutes faites et aux malheureux superlatifs des faiseurs d’articles dans les revues.

Ce soir, par mes façons de parler franches et imprudentes, j’ai conquis le mépris d’un marchand de fer bien plus considérable que moi, et homme d’esprit, mais de cet esprit rococo qui régnait il y a vingt ans ; il admire la biographie Michaud. J’avouerai que depuis que j’ai atteint deux mille écus de rente, je ne songe plus à la prudence ; c’est trop d’ennui pour mon peu d’ambition.

Si l’on veut passer pour capable, il faut dans la France d’aujourd’hui parler d’un air dolent, ne jamais aborder d’idées gé-