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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

Mais n’allez pas trop vous effrayer ; je ne dirai la vérité ou ce qui me semble tel que sur l’art gothique. Voici les idées qui me sont venues en visitant Saint-Apollinaire.

L’ogive est triste, tandis que, je ne sais pourquoi, le plein cintre donne l’idée de la force employée à vous défendre.

La couverte horizontale placée entre deux colonnes ne donne pas du tout l’idée de l’ignorance qui n’a pas encore inventé la voûte, mais bien celle de l’élégance, et de l’élégance fondée sur l’absence du danger.

J’engage le lecteur bénévole à interroger son cœur, et à vérifier si par hasard ces idées ne seraient pas vraies.

Pendant cent cinquante ans, gothique a été synonyme de laid. Il était donc grandement temps de changer d’opinion. Mais la bonne compagnie, que nos mœurs ont constituée juge de toutes choses et surtout des livres, est devenue juge et partie.

Elle a peur du retour de 93 : elle applaudit à tous les livres ennuyeux s’ils sont dévots, et de plus a des armoiries dont elle est fière.

Elle s’est figuré, ses chefs invisibles du moins, que l’admiration du gothique amènerait des fidèles aux prêtres qui officient, pour la plupart, dans des édifices gothiques, et que les prêtres, par reconnaissance, feraient remonter le bon peuple de France vers le degré de stupidité et d’amour pour ses maîtres qu’il montra en 1744, par exemple, lors de la maladie du roi Louis XV à Metz. Comme si, dans les passions, l’on pouvait remonter ! Amour pour le gouvernement Dubarry !

L’étude du gothique conduit à la vénération pour le champ de gueule, et peut ramener la religion en France. Adorons donc le gothique, contemporain et témoin des grands exploits de nos ancêtres, et n’octroyons le nom de savants qu’aux écrivains prudents qui savent maudire Voltaire et se passionner pour le gothique. N’avez-vous pas entendu proclamer ce décret vers 1818 ?

Aux onzième et douzième siècles, les peuples qui habitaient