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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.


— Saint-Vallier, le 11 juin.

À Sainte-Colombe, vis-à-vis Vienne, commence cette Côte-rôtie, célèbre par ses vins rouges. Chaque hameau de ces environs donne son nom à un vin célèbre. Qui ne connaît, qui ne respecte les vins de l’Ermitage, rouges et blancs ; les vins d’Ampuis, de Condrieux, etc. ? Le sol de la rive gauche du Rhône, qui suit la grande route de Marseille, est couvert d’une si prodigieuse quantité de cailloux roulés, qu’à peine laissent-ils voir la terre ; et cependant, sur la gauche de la route, le pays est planté de mûriers tellement pressés, que les terres ressemblent à un verger, et sous l’ombre de ces arbres le blé croît à merveille. Je suis assourdi par les cigales.

De Vienne jusqu’auprès d’Avignon les paysans se bâtissent des maisons en terre ou pisé. La route qui conduit à Grenoble est bordée de châtaigniers qui existaient avant la route, et qui la rendent très-pittoresque.

Ampuis produit peut-être les meilleurs melons du Midi, et ces excellents marrons connus à Paris sous le nom de marrons de Lyon.

Nous apercevons de loin sur la droite un joli pont suspendu qui se dessine au-dessus des arbres ; c’est le quatrième ou cinquième pont en fil de fer que je vois aujourd’hui sur ce Rhône si rapide et si large. L’impétuosité de son cours fait sentir doublement la victoire que l’homme remporte sur la nature.

Je vais voir la Roche taillée ; c’est un roc qu’on a ouvert à pic, du haut en bas, pour le passage d’un chemin insignifiant aujourd’hui. Là se trouvent les ruines du château Saint-Barthélémy.

Pourquoi faut-il que les ponts en fil de fer les plus laids de France soient précisément ceux de Paris ? L’esprit des ingénieurs a-t-il été glacé par la crainte du ridicule que les journaux avaient distribué à pleines mains à un premier pont manqué ?

Je passe, à cinq lieues de Vienne, sur la célèbre rampe de