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ŒUVRES DE STENDHAL.

d’être faite avec des pierres énormes et parfaitement jointes. On n’aperçoit aucune trace du ciment ; mais on voit dans les pierres, comme au Colisée de Rome, des trous profonds pratiqués par les Barbares, apparemment pour voler des crampons de métal.

Ce monument aura été élevé à quelqu’un de ces empereurs que les prétoriens précipitaient du trône après quelques mois de règne ; la mort de l’empereur aura empêché de l’achever.

En rentrant en ville, le cicérone m’a conduit à l’église de l’abbaye de Saint-Pierre ; l’entrée est décorée de trois groupes barbares. Il est curieux de voir le point extrême des grandes réputations. Virgile, qui, dans le moyen âge, passait pour un grand magicien, est, dit-on, l’auteur de ces figures.

Le shah de Perse, qui régnait en 1809, demandait à M. Morier, ambassadeur anglais, si le fameux général Bonapour ou Bonda Pour se battait pour ou contre les Français.

On m’a montré vers le haut de la rue des Serruriers l’arc de triomphe. Cet arc, dont on ne peut reconnaître la destination, est orné, dans l’intérieur, de têtes de Satyres. On a incrusté dans le mur une figure gauloise, qui n’est ni du même temps ni du même style.

Enfin je suis arrivé à ce qu’on appelle le Prétoire, ou le temple d’Auguste ; ces belles formes antiques, quoique indignement mutilées, réjouissent la vue en élevant l’âme.

Ce temple était d’ordre corinthien ; il a 60 pieds de long sur 40 de large ; il était ouvert de tous les côtés. Les colonnes sont composées de plusieurs assises ; elles ont 25 pieds de hauteur en y comprenant les chapiteaux et les bases qui portent sur un socle. Elles étaient cannelées ces pauvres colonnes, mais la main barbare qui changea ce temple en église brisa les cannelures pour faire rentrer les colonnes dans l’alignement de l’ignoble mur de clôture. Ce fut le bienheureux Burcard, évêque de Vienne, qui, vers 1089, eut la gloire de détruire un temple païen. Que de belles choses existaient encore au onzième siècle !