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ŒUVRES DE STENDHAL.

Je réponds :

— J’ai vu une lettre de l’écriture de Voltaire avec trois fautes d’orthographe.

J’aurais pu donner une vive jouissance à ce brave homme, en lui apprenant que, contrairement aux idées du savant M. Quatremère, la statue de Marc-Aurèle est toute de pièces et de morceaux. Avec quelle vanité n’eût-il pas triomphé de la supériorité des fondeurs actuels ! C’est ainsi que les artistes qui ont fait les statues de l’abbaye du Brou, dans le Bugey, savaient faire une feuille de vigne séparée par une distance de trois pouces du bloc de marbre d’où elle a été tirée.

Le mécanisme de tous les arts se perfectionne : on moule des oiseaux à ravir sur nature ; mais les rois et les grands hommes que nous mettons au milieu de nos places publiques ont l’air de comédiens, et, ce qui est pis, souvent de mauvais comédiens.

Le Louis XIV de la place de Bellecour est un écuyer qui monte fort bien à cheval. Peut-être qu’un ministre de l’intérieur a posé devant le statuaire.

Cette place de Bellecour, si renommée à Lyon, est plutôt dépeuplée que grande. Les façades de Bellecour, comme on dit avec emphase dans le pays, sont surtout habitées par la noblesse, qui est fort dévote ici et peu gaie. Rien de plus triste que la place de Bellecour.

Mes amis aimables soupent le samedi, et se voient entre eux sur le soir, mais le jour ils sont invisibles. Quand par malheur je n’ai pas affaire, et que je me sens près de me donner au diable, par ennui, s’il fait beau, je vais prendre une brêche au quai de la Feuillée, sur la Saône.

Le quai de la Saône, bien situé, environné de collines et d’édifices à physionomie, représente l’été à Lyon ; pour le quai du Rhône, c’est l’insignifiance moderne et l’hiver.

Entraîné par ma phrase, j’oubliais de dire qu’on appelle brêche, à Lyon, une petite barque couverte d’un cerceau et d’une toile, et menée à deux rames par une jeune fille, dont la grâce, l’élé-