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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

loux d’une pauvre petite ville, Montbrison, je crois, qui a le préfet, le général, et les autres belles choses qu’entraîne la qualité de capitale du département. Saint-Étienne, qui n’avait que vingt-quatre mille habitants en 1804, en compte trente-quatre mille aujourd’hui, et bientôt arrivera à cinquante ; c’est en ce genre la rivale du Havre. Saint-Étienne a été créé par la houille, qu’elle transforme en armes, en eustaches et en rubans de soie. Les rues sont larges et noires comme en Angleterre. Un torrent magnifique, nommé Furens (le furieux), traverse la ville, et fait mouvoir cent usines.

Il faudrait, au milieu de la grande rue de Roanne, une belle statue de bronze à laquelle on donnerait le nom de quelque industriel héroïque s’il y en a, ou du brave Étienne, le tambour d’Arcole. Ce serait une belle chose qu’une statue héroïque élevée à un simple tambour ; elle parlerait au peuple[1]. Cette statue ferait mieux si elle était nue, ou en costume héroïque ; car ici l’imagination est étouffée par la réalité, et quelle réalité ! Les Génois, les Florentins, les Vénitiens, négociants aussi, faisaient peindre à fresque le devant de leurs maisons. Voir encore aujourd’hui la place des Fontaines amoureuses à Gênes.


— Lyon, le 2 juin.

Le voisinage de l’Italie, avec laquelle les Lyonnais ont depuis si longtemps des relations fréquentes à cause de la soie (voir les Mémoires de Cellini), n’a point ouvert leur esprit aux choses des beaux-arts. Un accident heureux, un incendie, je crois, les avait débarrassés de leur grand théâtre, énorme et lourd édifice du siècle de Louis XV ; il est placé tout contre leur hôtel de ville, qu’il étouffe. C’est un lieu où l’on n’y voit pas clair en plein midi, témoin le cabinet littéraire où je lisais les journaux il n’y a pas une heure. Il fut question de bâtir une autre salle de spectacle. On propose des emplacements fort raisonnables, par exemple

  1. Étienne, mort à Paris le 1er janvier 1838.