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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

tiques, paye les comptes, parle aux postillons, et participe à la vie joyeuse du patron. Brémont lui dit : Pétrone, nous partons demain à une heure, après le déjeuner.

On ne dit plus un mot du départ. Le lendemain, à une heure, le déjeuner est interrompu par le fouet des postillons. Saint-Vernange dit : Ce séjour a coûté trois cent quatre-vingt-deux francs. Brémont ne l’écoute pas ; en montant en voiture, Brémont dit : À Bagnères-de-Luchon, ou à Dieppe ; et l’on part.

Saint-Vernange est original et brillant dans une partie de plaisir ; il cause et a des saillies ; il conte à ravir les anecdotes les plus gaies. Voit-il que Brémont a envie de parler et de briller lui-même, il n’ouvre plus la bouche.

Un jour de pluie, après déjeuner, Brémont dit : Je m’ennuie.

— Vous vous trompez, reprend Saint-Vernange avec vivacité, seulement vous vous amusez sans le savoir. On sort, et Saint-Vernange invente toujours quelque chose. En désespoir de cause, il accroche le tranquille cabriolet d’un campagnard, dont la mine suffisante promet une dispute agréable. Si la discussion tourne au sérieux, Saint-Vernange se bat. L’unique de cette association, et que j’ai bien regardé, c’est que jamais Saint-Vernange ne jouit intérieurement de l’embarras du patron, il sent exactement comme son ami.

— Voici qui est incroyable, dit celui-ci ; quand je veux savoir ce que je pense, je le demande à Pétrone ; et voilà pourquoi il est la moitié de ma vie. Saint-Vernange appelle Brémont le patron. Devant le monde comme en particulier, sa manière est absolument la même ; Brémont, de son côté, le traite comme un frère cadet.

Saint-Vernange racontait ce soir qu’à ce dernier voyage le patron allait rapidement de Rotterdam à Marseille ; il ne s’arrêtait que vingt-quatre heures à Paris, et pour cause : plusieurs créanciers avaient des jugements contre lui.

Comme ils passaient sur le boulevard, Saint-Vernange lui dit :