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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

prouver au pouvoir d’alors qu’il y avait un art vétérinaire ; il obtint ensuite la fondation de l’école.


— Lyon, le 24 mai.

J’ai trouvé mes amis de Lyon dans le chagrin ; ils viennent de perdre René (de Marseille), l’âme de toutes leurs parties de plaisir. Je l’ai connu ; c’était peut-être le plus joli homme de France, le plus naturel, le plus gai : de l’esprit sans doute, mais point apprêté, coulant de source ; une sorte d’esprit naïf et charmant, plutôt que brillant, et qui enchantait dès la première vue. On ne pouvait pas ne point l’aimer : aussi était-il aimé, et de deux dames à la fois, dont huit jours avant le dernier il s’est débarrassé d’une façon officielle en quelque sorte.

Malgré ses quarante-huit ans sonnés, madame Saint-Molaret fait encore la pluie et le beau temps dans la société d’une des plus grandes villes du Midi.

À mon dernier voyage, elle montrait toujours beaucoup de prétentions, et il faut avouer qu’elle avait une maison charmante : presque tous les jours de la musique, des dîners, des soupers, des parties sur l’eau. On ne peut lui refuser beaucoup d’entrain, et de cette sorte de gaieté qui n’est pas bien noble, mais qui se communique : de plus, madame Saint-Molaret n’a jamais d’humeur, et l’on peut dire qu’elle serait fort aimable si elle ne songeait pas toujours à être aimée.

Mais être aimée ! même, sans parler de l’âge, une femme qui a soixante mille livres de rente ! cela se voit-il de nos jours ? Le pauvre René n’eut pas le courage de résister à cette vie joyeuse et toute de fêtes, lui qui n’avait pour unique fortune qu’une chétive pension de douze cents francs mal payée par son père, et une place de commis dans une maison de commerce.

Il régnait donc sur le cœur de madame Saint-Molaret, lorsque cette vénérable douairière eut l’imprudence de céder aux vœux de son gros mari, et prit chez elle mademoiselle Hortense Sessins. C’est la nièce du bonhomme, belle comme le jour ; elle a