Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
118
ŒUVRES DE STENDHAL.

Paris. Il saurait à la fois ce qui se passe et ce qui devrait se passer.


— Lyon, le 19 mai.

Il y a trois jours qu’un M. Smith, Anglais puritain, établi ici depuis dix ans, a jugé à propos de quitter la vie ; il a avale un flacon contenant une once d’acide prussique. Deux heures après il était fort malade, mais ne mourait point, et, pour passer le temps, il se roulait sur son plancher. Son hôte, honnête cordonnier, travaillait dans sa boutique au-dessous de la chambre ; étonné de ce bruit singulier et craignant qu’on ne gâtât ses meubles, il monte ; il frappe, pas de réponse ; il entre alors par une porte condamnée, il est effrayé de la position de son Anglais, et envoie chercher M. Travers, chirurgien célèbre, ami du malade. Le chirurgien arrive, médicamente M. Smith et le met bien vite hors de danger, puis il lui dit :

— Mais que diable avez-vous donc bu ?

— De l’acide prussique.

— Impossible, six gouttes vous auraient tué en un clin d’œil.

— On m’a bien dit que c’était de l’acide prussique.

— Et qui vous l’a vendu ?

— Un petit apothicaire du quai de Saône.

— Mais vous vous servez ordinairement chez votre voisin Girard, là, vis-à-vis votre porte, le premier pharmacien de Lyon.

— Il est vrai : mais la dernière fois que j’ai acheté une médecine chez lui, j’ai dans l’idée qu’il me l’a vendue trop cher.


— Lyon, le 20 mai.

La promenade sur la montagne de Fourvières est regardée par les Lyonnais dévots comme une sorte de pèlerinage ; à chaque pas en effet ce sont des souvenirs des premiers chrétiens et des premiers martyrs de Lyon[1]. Je vois en passant l’église de Saint-

  1. Voir l’Histoire de Lyon, par le P. Colonia. On trouve dans cet ou-