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Mais malgré lui il était un peu touché par cette image bien jouée de l’extrême malheur. Ce corps d’ailleurs qui s’agitait sous ses yeux était si beau[1].

Madame Grandet sentait en vain qu’il fallait à tout prix arrêter le discours fatal de Lucien, qui allait s’irriter par le son de ses paroles et peut-être prendre avec lui-même des engagements auxquels il ne songeait peut-être pas en commençant. Il fallait donc faire une réponse quelconque, et elle ne se sentait pas la force de parler.

Ce discours de Lucien que madame Grandet trouvait si long finit enfin, et madame Grandet trouva qu’il finissait trop tôt, car il fallait répondre, et que dire ! Cette situation affreuse changea sa façon de sentir ; d’abord, elle se disait, comme par habitude : « Quelle humiliation ! » Bientôt elle ne se trouva plus sensible aux malheurs de l’orgueil ; elle se sentait pressée par une douleur bien autrement poignante : ce qui faisait le seul intérêt de sa vie depuis quelques jours allait lui manquer ! Et que ferait-elle après, avec son salon et le plaisir d’avoir des soirées

  1. Art. — N’expliquer au lecteur les mauvaises qualités, les qualités sèches de Mme Grandet, que lorsque le lecteur s’y sera un peu attaché, au moins comme à une compagne de voyage.