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il avant la confidence faite par son père, que sans rouerie, sans fausseté autre que de parler de mon amour, sans scélératesse d’aucune espèce, j’ai eu un succès de femme. Les habiles croient une telle chose impossible. » ]

Ce fut précisément à l’instant où l’aventure de madame Grandet commençait à plaire extrêmement à Lucien que le mot de son père vint faire disparaître tout cet échafaudage de contentement de soi-même. Une heure auparavant, il se répétait encore :

« Ernest se sera trompé une fois quand il m’a prédit que de la vie je n’obtiendrais une femme comme il faut, sans l’aimer, autrement que par la pitié, les larmes et tout ce que ce chimiste de malheur [appelle] la voie humide. »

Le traître mot dit par son père succédant à une journée de triomphe le plongea dans l’amertume.

« Mon père, se dit Lucien, se moque de moi ! »

Par excès de vanité, il sut ne pas se laisser dominer par l’œil fin et scrutateur de son père qu’il voyait attaché aux siens, il déroba à ce moqueur impitoyable son désappointement cruel. M. Leuwen eût été bien heureux de deviner son fils. Il savait par expérience que le même fonds de vanité qui fait sentir cruellement les malheurs de