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d’être ministre[1]. Or, c’est ce qui n’était point en question. Ce n’étaient pas précisément ces pensées-là qui enflammaient la grande âme de madame Roland à la veille du ministère de son mari. Mais c’est ainsi que notre siècle imite les grands hommes de 93, c’est ainsi que M. de Polignac a eu du caractère ; on copie le fait matériel : être ministre, faire un coup d’État, faire une journée, un 4 prairial, un 10 août, un 18 fructidor ; mais les moyens de succès, mais les motifs d’action, on ne creuse pas si avant.

Mais quand il s’agissait du prix par lequel il fallait acheter tous ces avantages, l’imagination de madame Grandet le désertait, elle n’y voulait pas penser : son esprit était aride. Elle ne voulait pas y consentir ouvertement, mais bien moins encore s’y refuser, elle avait besoin d’une discussion oiseuse et longue pour y accoutumer son imagination. Son âme enflammée d’ambition n’avait plus d’attention à donner à cette condition désagréable, mais d’un intérêt secondaire. Elle sentait qu’elle allait avoir des remords, non pas de religion, mais de noblesse.

« Est-ce qu’une grande dame, une duchesse de Longueville, une madame de

  1. Elle se dit de Lucien : C’est un être bon, fort amoureux, mais qui a peur de moi.