Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ennui qui m’assomme depuis une heure est perdu. Je manque l’occasion d’avoir le vrai tirant d’eau de cette vertu célèbre. »

Enfin, comme par grâce, M. Leuwen, qui était devenu d’une politesse désespérante, commença à laisser entrevoir que bientôt peut-être il daignerait s’expliquer. Il demanda des pardons infinis de la communication qu’il avait à faire, et puis du mot cruel qu’il serait forcé d’employer. Il s’amusa à promener la terreur de madame Grandet sur les choses les plus terribles.

« Après tout, elle n’a pas de caractère, et ce pauvre Lucien aura là une ennuyeuse maîtresse, s’il l’a. Ces beautés célèbres sont admirables pour la décoration, pour l’apparence extérieure, et voilà tout. Il faut la voir dans un salon magnifique, au milieu de vingt diplomates garnis de leurs crachats, croix, rubans. Je serais curieux de savoir si, après tout, sa madame de Chasteller vaut mieux que cela. Pour la beauté physique, si j’ose ainsi parler, la magnificence de la pose, la beauté réelle de ces bras charmants, c’est impossible. D’un autre côté, il est parfaitement exact que, quoique j’aie le plaisir de me moquer un peu d’elle, elle m’ennuie, ou du moins je compte les minutes à la pendule. Si elle avait le caractère que sa