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cette démarche, pensa Leuwen, on aurait pu éviter la communication de la lettre du ministre, mais jamais ce petit préfet ergoteur et musqué, même en le supposant non piqué, n’eût consenti à faire une démarche non inventée par lui. »

L’air de colère vulgaire voulant jouer le dédain méprisant avec lequel M. Le Canu lut la lettre du comte de Vaize au préfet acheva de rendre à Leuwen le sentiment de la vie réelle et de chasser toutes les idées augustes lancées dans la société par les phrases de M. de Chateaubriand. À certaines phrases du ministre, la colère du chef du parti prêtre devint si forte qu’il se mit à sourire.

« Cet homme-ci cherche à me faire impression par un ton d’humeur ; il ne faut pas me fâcher et tout rompre. Voyons si, malgré ma jeunesse, je pourrai me tirer de mon rôle. »

Leuwen sortit une lettre de sa poche et se mit à la lire attentivement. Sa contenance était celle qu’il aurait eue devant un conseil de guerre. L’abbé Le Canu observa du coin de l’œil qu’il n’était pas regardé, et sa lecture de l’instruction ministérielle fut moins majestueuse. Leuwen le vit recommencer la lecture avec l’attention d’un homme d’affaires grognon.

— Vos pouvoirs sont très grands, mon-