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que madame de Chasteller eût eu une affaire avec le lieutenant-colonel du 20e régiment de hussards.

« Grand Dieu ! Que ne donnerais-je pas pour avoir, pendant une journée, le coup d’œil et l’expérience de mon père ! »

[Il aimait[1] pour la première fois. Madame de Chasteller avait cette simplicité de caractère qui s’allie si bien avec la vraie noblesse. Elle se fût reproché comme un crime avilissant la moindre fausseté, la moindre affectation envers les personnes qu’elle chérissait. Hors le seul fait de préférence passionnée qu’elle accordait à Leuwen, elle lui disait la vérité sur tout avec un naturel, une vivacité que l’on rencontre rarement chez une femme de vingt-deux ans.

— Je ne l’aimerais pas, se disait Leuwen, que les soirées que je passe près d’elle seraient encore les plus amusantes de ma vie.

Elle ne lui avait jamais dit précisément qu’elle l’aimait, mais quand il raisonnait de sang-froid, ce qui, à la vérité, était fort rare, il en était bien sûr. Madame de Chas-

  1. Le long fragment que le lecteur trouvera ici entre crochets avait été jugé ennuyeux par Stendhal le 29 septembre 1834. Il résolut de remplacer « ce mauvais La Bruyère par de l’action. » Ces pages n’avaient pourtant pas été biffées, aussi ai-je tenu à les conserver. N. D. L. E.