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Leuwen, elle se livre à des lieutenants-colonels ! »

Ces mots grossiers semblèrent lui rendre toute sa passion. Mais Leuwen était trop jeune, pas assez fait au monde. Sans s’en apercevoir, il fut rude et nullement gracieux pour madame de Chasteller. Son amour tenait du tigre[1], ce n’était plus l’homme de la veille.

Les demoiselles de Serpierre étaient fort gaies : un domestique de Leuwen venait de leur apporter des bouquets magnifiques, qu’il avait fait prendre dans les serres de Darney, pays célèbre pour les fleurs. Il se trouva qu’il n’y avait point de bouquet pour madame de Chasteller ; on fut obligé de diviser en deux le plus beau.

« C’est d’un triste augure, » pensa-t-elle.

Pendant toute la joie des demoiselles de Serpierre, elle fut un peu interdite. Ce qu’il y avait de brusque et de peu gracieux dans les regards de Leuwen l’étonnait. Elle se demandait si, pour conserver son estime et ne pas manquer à ce juste soin de son honneur sans lequel une femme ne saurait être aimée sérieusement d’un homme lui-même un peu délicat, elle ne devait pas quitter cette maison, ou du moins paraître offensée.

  1. Oui, tigre.