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pour savoir si elle aurait peur à cheval. Elle avait trouvé dans les élégants country seats où elle avait été invitée l’ennui, mais non le sentiment de la crainte.

Quand Lucien lui fut présenté, elle revenait d’Angleterre, et son séjour en ce pays venait d’envenimer le sentiment d’admiration voisin de l’envie qu’elle éprouvait pour la noblesse d’origine ; son âme n’avait pas la supériorité qu’il faut pour chercher l’estime des gens qui estiment peu la noblesse. Madame Grandet n’avait été en Angleterre que la femme d’un des juste milieu de Juillet les plus distingués par la faveur de Louis-Philippe, mais à chaque instant elle s’était sentie une femme de marchand. Ses cent mille livres de rente, qui la tiraient si fort du pair à Paris, en Angleterre n’étaient presque qu’une vulgarité de plus. Elle revenait d’Angleterre avec ce grand souci : « Il faut n’être plus une femme de marchand, et devenir une Montmorency. »

Son mari était un gros et grand homme de quarante ans, fort bien portant, et il n’y avait pas de veuvage à espérer. Même elle ne s’arrêta pas à cette idée : sa grande fortune l’avait éloignée de bonne heure, et par orgueil, des voies obliques, et elle méprisait tout ce qui était crime. Il s’agissait de devenir une Montmorency