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du plus plat, un moine envoyé à la mort, dans un pays superstitieux, et par un général juste milieu, c’est sublime. Mon aquarelle est un tableau de Michel-Ange.

— Ainsi, tu vas prendre le triste caractère d’un Don Juan, dit madame Leuwen avec un profond soupir.

M. Leuwen éclata de rire.

— Ah ! que cela est bon ! Lucien un Don Juan ! Mais, mon ange, il faut que vous l’aimiez avec bien de la passion : vous déraisonnez tout à fait ! Heureux qui bat la campagne par l’effet d’une passion ! Et mille fois heureux qui déraisonne par amour, dans ce siècle où l’on ne déraisonne que par impuissance et médiocrité d’esprit ! Le pauvre Lucien sera toujours dupe de toutes les femmes qu’il aimera. Je vois dans ce cœur-là du fonds pour être dupe jusqu’à cinquante ans…

— Enfin, dit madame Leuwen, souriant de bonheur, tu as vu que l’horrible et le plat était le sublime de Michel-Ange pour cette pauvre petite madame Grandet.

— Je parie que tu n’as pas eu une seule de ces idées en faisant ton moine, dit M. Leuwen.

— Il est vrai. J’ai pensé tout simplement à M. Grandet qui, ce soir-là, voulait faire pendre tout simplement tous les