Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

camote les droits et l’argent des populations tout en jurant tous les matins de les respecter. Vous souvenez-vous du fil rouge que l’on trouve au centre de tous les cordages, gros ou petits, appartenant à la marine royale d’Angleterre, ou plutôt vous souvenez-vous de Werther, je crois, où j’ai lu cette belle chose ?

— Très bien.

— Voilà l’image d’une corporation ou d’un homme qui a un mensonge de fond à soutenir. Jamais de vérité pure et simple. Voyez les doctrinaires.

— Le mensonge de Napoléon n’était pas aussi grossier, à beaucoup près.

— Il n’y a que deux choses sur lesquelles on n’ait pas encore trouvé le moyen d’être hypocrite : amuser quelqu’un dans la conversation, et gagner une bataille. Du reste, ne parlons pas de Napoléon. Laissez le sens moral à la porte en entrant au ministère, comme de son temps on laissait l’amour de la patrie en entrant dans sa garde. Voulez-vous être un joueur d’échecs pendant dix-huit mois et n’être rebuté par aucune affaire d’argent ? Le sang seul vous arrêterait ?

— Oui, mon père.

— Eh ! bien, n’en parlons plus[1].

  1. Cette conversation est peut-être un peu longue, mais M. Leuwen père voulait être bien clair, bien explicite,