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« Si j’étais en Allemagne, s’était-il dit, je parlerais allemand ; à Nancy, je parle provincial. »

Il lui eût semblé s’entendre jurer s’il leur eût dit d’une belle matinée : « C’est une belle matinée. » Il s’écriait en fronçant le sourcil et épanouissant le front, de l’air important d’un gros propriétaire : « Quel beau temps pour les foins ! »

Ses excès du soir au billard Charpentier vinrent ébranler un peu sa considération. Mais peu de jours avant que sa mauvaise conduite éclatât, il avait acheté une calèche, immense, très propre à recevoir les familles nombreuses, dont Nancy abondait, et c’était en effet à cet usage qu’il la destinait. Les six demoiselles de Serpierre et leur mère « étrennèrent » cette voiture, comme on dit dans le pays. Plusieurs autres familles aussi nombreuses osèrent la demander, et l’obtinrent à l’instant.

« Ce M. Leuwen est bien bon enfant, disait-on de toutes parts ; il est vrai que cela lui coûte peu : son père joue à la rente avec le ministre de l’Intérieur, c’est la pauvre rente qui paie tout cela. »

C’était de la même façon obligeante que M. Du Poirier expliquait le joli cadeau que Leuwen lui avait fait à la suite de sa goutte volante.

[Le docteur Du Poirier passait pour avide