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d’heure avec la même phrase. Les ultra les plus insupportables de Paris, ceux qui font déserter le salon de madame Grandet, ici seraient des gens de bonne compagnie, modérés, parlant d’un ton de voix convenable. »

L’inconvénient de parler haut était le pire pour Lucien ; il ne pouvait s’y faire. « Je devrais les étudier comme on étudie l’histoire naturelle. M. Cuvier nous disait, au Jardin des Plantes, qu’étudier avec méthode, en notant avec soin les différences et les ressemblances, était un moyen sûr de se guérir du dégoût qu’inspirent les vers, les insectes, les crabes hideux de la mer », etc., etc.

Quand Lucien rencontrait un de ses nouveaux amis, il ne pouvait guère se dispenser de s’arrêter avec lui dans la rue. Là, on se regardait, on ne savait que dire, on parlait de la chaleur ou du froid, etc. ; car le provincial ne lit guère que les journaux, et, passé l’heure de la discussion sur le journal, il ne sait que dire. « Vraiment, ici c’est un malheur que d’avoir de la fortune, pensait Lucien ; les riches sont plus désoccupés que les autres, et, par là, en apparence, plus méchants. Ils passent leur vie à examiner avec un microscope les actions de leurs voisins ; ils ne connaissent d’autres remèdes à l’ennui que d’être ainsi