Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, I, 1927, éd. Martineau.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.
49
l’ennui

et dissipèrent le charme dans lequel il vivait depuis un quart d’heure.

— Oui, madame, lui dit-il en cherchant à prendre un air froid ; je sais le latin aussi bien que M. le curé, et même quelquefois il a la bonté de dire mieux que lui.

Madame de Rênal trouva que Julien avait l’air fort méchant, il s’était arrêté à deux pas d’elle. Elle s’approcha et lui dit à mi-voix :

— N’est-ce pas, les premiers jours, vous ne donnerez pas le fouet à mes enfants, même quand ils ne sauraient pas leurs leçons.

Ce ton si doux et presque suppliant d’une si belle dame fit tout à coup oublier à Julien ce qu’il devait à sa réputation de latiniste. La figure de madame de Rênal était près de la sienne, il sentit le parfum des vêtements d’été d’une femme, chose si étonnante pour un pauvre paysan. Julien rougit extrêmement et dit avec un soupir et d’une voix défaillante :

— Ne craignez rien, madame, je vous obéirai en tout.

Ce fut en ce moment seulement, quand son inquiétude pour ses enfants fut tout à fait dissipée, que madame de Rênal fut frappée de l’extrême beauté de Julien. La forme presque féminine de ses traits et son air d’embarras ne semblèrent point ridicules