Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, I, 1927, éd. Martineau.djvu/327

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Voulez-vous me rendre malheureuse ? Sans doute, il vous a regardé, peut-être même il va venir vous parler. Je lui ai dit que vous êtes un parent de ma mère, et que vous arrivez de Genlis. Lui est Franc-Comtois et n’a jamais dépassé Dôle, sur la route de la Bourgogne ; ainsi dites ce que vous voudrez, ne craignez rien.

Julien hésitait encore ; elle ajouta bien vite, son imagination de dame de comptoir lui fournissant des mensonges en abondance :

— Sans doute il vous a regardé, mais c’est au moment où il me demandait qui vous êtes ; c’est un homme qui est manant avec tout le monde, il n’a pas voulu vous insulter.

L’œil de Julien suivait le prétendu beau-frère ; il le vit acheter un numéro à la poule que l’on jouait au plus éloigné des deux billards. Julien entendit sa grosse voix qui criait d’un ton menaçant : Je prends à faire ! Il passa vivement derrière mademoiselle Amanda, et fit un pas vers le billard. Amanda le saisit par le bras :

— Venez me payer d’abord, lui dit-elle.

C’est juste, pensa Julien ; elle a peur que je ne sorte sans payer. Amanda était aussi agitée que lui et fort rouge ; elle