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Le bonheur serait-il si près de moi ?… La dépense d’une telle vie est peu de chose ; je puis à mon choix épouser mademoiselle Élisa, ou me faire l’associé de Fouqué… Mais le voyageur qui vient de gravir une montagne rapide s’assied au sommet, et trouve un plaisir parfait à se reposer. Serait-il heureux si on le forçait à se reposer toujours ?

L’esprit de madame de Rênal était arrivé à des pensées fatales. Malgré ses résolutions, elle avait avoué à Julien toute l’affaire de l’adjudication. Il me fera donc oublier tous mes serments, pensait-elle !

Elle eût sacrifié sa vie sans hésiter pour sauver celle de son mari, si elle l’eût vu en péril. C’était une de ces âmes nobles et romanesques, pour qui apercevoir la possibilité d’une action généreuse, et ne pas la faire, est la source d’un remords presque égal à celui du crime commis. Toutefois, il y avait des jours funestes où elle ne pouvait chasser l’image de l’excès de bonheur qu’elle goûterait si, devenant veuve tout à coup, elle pouvait épouser Julien.

Il aimait ses fils beaucoup plus que leur père ; malgré sa justice sévère, il en était adoré. Elle sentait bien qu’épousant Julien, il fallait quitter ce Vergy dont les ombrages lui étaient si chers. Elle se voyait vivant à Paris, continuant à donner à ses fils cette