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francs la bouteille pris sur place. Julien tenant son verre vert, dit à M. Valenod :

— On ne chante plus cette vilaine chanson.

— Parbleu ! je le crois bien, répondit le directeur triomphant, j’ai fait imposer silence aux gueux.

Ce mot fut trop fort pour Julien ; il avait les manières, mais non pas encore le cœur de son état. Malgré toute son hypocrisie si souvent exercée, il sentit une grosse larme couler le long de sa joue.

Il essaya de la cacher avec le verre vert, mais il lui fut absolument impossible de faire honneur au vin du Rhin. L’empêcher de chanter ! se disait-il à lui-même, ô mon Dieu ! et tu le souffres !

Par bonheur, personne ne remarqua son attendrissement de mauvais ton. Le percepteur des contributions avait entonné une chanson royaliste. Pendant le tapage du refrain, chanté en chœur : Voilà donc, se disait la conscience de Julien, la sale fortune à laquelle tu parviendras, et tu n’en jouiras qu’à cette condition et en pareille compagnie ! Tu auras peut-être une place de vingt mille francs, mais il faudra que, pendant que tu te gorges de viandes, tu empêches de chanter le pauvre prisonnier ; tu donneras à dîner