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d’heure fatal, peut-être ne trouverai-je plus l’occasion de lui parler. Ce n’est pas un être sage et dirigé par la raison. Je pourrais alors, à l’aide de ma faible raison, prévoir ce qu’il fera ou dira. Lui décidera notre sort commun, il en a le pouvoir. Mais ce sort est dans mon habileté, dans l’art de diriger les idées de ce fantasque, que sa colère rend aveugle, et empêche de voir la moitié des choses. Grand Dieu ! il me faut du talent, du sang-froid, où les prendre ?

Elle retrouva le calme comme par enchantement en entrant au jardin et voyant de loin son mari. Ses cheveux et ses habits en désordre annonçaient qu’il n’avait pas dormi.

Elle lui remit une lettre décachetée mais repliée. Lui, sans l’ouvrir, regardait sa femme avec des yeux fous.

— Voici une abomination, lui dit-elle, qu’un homme de mauvaise mine, qui prétend vous connaître et vous devoir de la reconnaissance, m’a remise comme je passais derrière le jardin du notaire. J’exige une chose de vous, c’est que vous renvoyiez à ses parents, et sans délai, ce monsieur Julien. Madame de Rênal se hâta de dire ce mot, peut-être un peu avant le moment, pour se débarrasser de l’affreuse perspective d’avoir à le dire.

Elle fut saisie de joie en voyant celle