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Que puis-je pour elle ?… la quitter ? Mais je la laisse seule en proie à la plus affreuse douleur. Cet automate de mari lui nuit plus qu’il ne lui sert. Il lui dira quelque mot dur, à force d’être grossier ; elle peut devenir folle, se jeter par la fenêtre.

Si je la laisse, si je cesse de veiller sur elle, elle lui avouera tout. Et que sait-on, peut-être, malgré l’héritage qu’elle doit lui apporter, il fera un esclandre. Elle peut tout dire, grand Dieu ! à ce c… d’abbé Maslon, qui prend prétexte de la maladie d’un enfant de six ans pour ne plus bouger de cette maison, et non sans dessein. Dans sa douleur et sa crainte de Dieu, elle oublie tout ce qu’elle sait de l’homme ; elle ne voit que le prêtre.

— Va-t’en, lui dit tout à coup madame de Rênal en ouvrant les yeux.

— Je donnerais mille fois ma vie pour savoir ce qui peut t’être le plus utile, répondit Julien : jamais je ne t’ai tant aimée, mon cher ange, ou plutôt, de cet instant seulement, je commence à t’adorer comme tu mérites de l’être. Que deviendrai-je loin de toi, et avec la conscience que tu es malheureuse par moi ! Mais qu’il ne soit pas question de mes souffrances. Je partirai, oui, mon amour. Mais, si je te quitte, si je cesse de veiller sur toi, de me trouver sans cesse entre toi