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la campagne

deux femmes ; il s’aperçut qu’il aurait beaucoup mieux aimé faire la cour à madame Derville ; ce n’est pas qu’elle fût plus agréable, mais toujours elle l’avait vu précepteur honoré pour sa science, et non pas ouvrier charpentier, avec une veste de ratine pliée sous le bras, comme il était apparu à madame de Rênal.

C’était précisément comme jeune ouvrier, rougissant jusqu’au blanc des yeux, arrêté à la porte de la maison et n’osant sonner, que madame de Rênal se le figurait avec le plus de charme.

En poursuivant la revue de sa position, Julien vit qu’il ne fallait pas songer à la conquête de madame Derville, qui s’apercevait probablement du goût que madame de Rênal montrait pour lui. Forcé de revenir à celle-ci : Que connais-je du caractère de cette femme ? se dit Julien. Seulement ceci : avant mon voyage, je lui prenais la main, elle la retirait ; aujourd’hui je retire ma main, elle la saisit et la serre. Belle occasion de lui rendre tous les mépris qu’elle a eus pour moi. Dieu sait combien elle a eu d’amants ! elle ne se décide peut-être en ma faveur qu’à cause de la facilité des entrevues.

Tel est, hélas, le malheur d’une excessive civilisation ! À vingt ans, l’âme d’un jeune homme, s’il a quelque éducation, est