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une sorte de fièvre l’empêchait de trouver le sommeil ; elle ne vivait que lorsqu’elle avait sous les yeux sa femme de chambre ou Julien. Elle ne pouvait penser qu’à eux et au bonheur qu’ils trouveraient dans leur ménage. La pauvreté de cette petite maison, où l’on devrait vivre avec cinquante louis de rente, se peignait à elle sous des couleurs ravissantes. Julien pourrait très bien se faire avocat à Bray, la sous-préfecture à deux lieues de Verrières ; dans ce cas elle le verrait quelquefois.

Madame de Rênal crut sincèrement qu’elle allait devenir folle ; elle le dit à son mari, et enfin tomba malade. Le soir même, comme sa femme de chambre la servait, elle remarqua que cette fille pleurait. Elle abhorrait Élisa dans ce moment, et venait de la brusquer ; elle lui en demanda pardon. Les larmes d’Élisa redoublèrent ; elle dit que si sa maîtresse le lui permettait, elle lui conterait tout son malheur.

— Dites, répondit madame de Rênal.

— Eh bien, madame, il me refuse ; des méchants lui auront dit du mal de moi, il les croit.

— Qui vous refuse ? dit madame de Rênal respirant à peine.

— Eh qui, madame, si ce n’est M. Julien ? répliqua la femme de chambre en sanglo-