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du lendemain. Une fois cependant, le piéton put être soupçonné d’avoir manqué à sa discrétion, vertu qui lui était si nécessaire ; il se trouva que le docteur Sansfin et lui faisaient la cour à la fille du boulanger, l’une des plus jolies du pays et des plus riches. Le bruit se répandit que le docteur, monté sur son bon cheval aveugle, ayant fait rencontre du piéton, lui avait distribué quelques coups de cravache. Bientôt il fut connu que la belle boulangère, malgré les quatre mille livres de rente que l’opinion publique accordait à son père, s’était décidée en faveur du médecin bossu qui, à la vérité, s’était fait précéder par le don de six napoléons d’or.

C’était ce piéton, fort bien vêtu et renommé à la fois pour son extrême discrétion et pour sa passion encore plus grande pour l’argent, qu’avait choisi Lamiel lorsque sa curiosité avait voulu se former une idée nette de ce que les jeunes filles du pays appelaient l’amour.

Elle raconta à son ami Sansfin l’extrême hauteur, allant presque jusqu’au ton de l’insulte, qui avait présidé aux négociations qu’elle avait entretenues à ce sujet avec le piéton. Elle lui avait remis un beau napoléon d’or sous la condition que jamais il ne prononcerait son nom ; que, sous quelque prétexte que ce fût, jamais il ne lui adresserait la parole. En revanche, si elle était parfaitement contente de la parfaite indifférence même de son regard, elle laisserait tomber à ses pieds, le 1er  janvier de chaque année, la somme de cinq francs.

Comment réussir à peindre la rage profonde qui agitait Sansfin pendant que Lamiel lui donnait tous ces