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moins et saurais que faire de ma vie. L’amour, qui paraît faire le souverain bonheur de tout le monde, me paraît une chose fort insipide et, si j’ose trop dire, fort ennuyeuse.

— Ce qui veut dire peut-être que vous avez été aimée par un ennuyeux.

« Je me compromets, se dit Lamiel, il faut revenir à la vérité. »

— Non, ajouta-t-elle de l’air le plus simple qu’elle put, on m’a fait la cour ; mon premier amoureux s’appelait Berville et n’aimait que l’argent. L’autre, appelé le duc, était fort prodigue, mais le plus beau jour de ma vie a été celui où je l’ai mis dans l’impossibilité de me voir. Un oncle m’avait laissé mille cinq cent cinquante francs ; on devait le lendemain les porter au notaire pour les placer. J’ai demandé à voir de près ces beaux napoléons d’or et le billet de mille francs ; il était huit heures du soir, mon père est sorti pour aller préparer son élection, moi, je me suis sauvée par le jardin de la sous-préfecture avec les trois malles qui venaient d’apporter de Paris une partie de ma corbeille de mariage, car M. de Tourte est aussi généreux que laid, c’est beaucoup dire, et mon père lui remboursera le prix de ces robes qui me