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commençai à voir en lui une grâce parfaite. Sa grande âme se révélait à moi ; que de savants mensonges eût étalés, à sa place, un jeune homme bien élevé ! Enfin, s’il n’est heureux je ne puis être heureuse. Tenez, voilà un mot qui peint bien l’état de mon cœur ; si ce n’est la vérité c’est au moins tout ce que j’en vois. Le comte, encouragé par ce ton de franchise et d’intimité, voulut lui baiser la main : elle la retira avec une sorte d’horreur. Les temps sont finis, lui dit-elle ; je suis une femme de trente-sept ans, je me trouve à la porte de la vieillesse, j’en ressens déjà tous les découragements, et peut-être même suis-je voisine de la tombe. Ce moment est terrible, à ce qu’on dit, et pourtant il me semble que je le désire. J’éprouve le pire symptôme de la vieillesse ; mon cœur est éteint par cet affreux malheur, je ne puis plus aimer. Je ne vois plus en vous, cher comte, que l’ombre de quelqu’un qui me fut cher. Je dirai plus, c’est la reconnaissance toute seule qui me fait vous tenir ce langage.

— Que vais-je devenir ? lui répétait le comte, moi qui sens que je vous suis attaché avec plus de passion que les premiers jours, quand je vous voyais à la Scala !

— Vous avouerai-je une chose, cher ami, parler d’amour m’ennuie, et me