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Clélia avait des cheveux blonds cendrés, se détachant, par un effet très-doux, sur des joues d’un coloris fin, mais en général un peu trop pâle. La forme seule du front eût pu annoncer à un observateur attentif que cet air si noble, cette démarche tellement au-dessus des grâces vulgaires, tenaient à une profonde incurie pour tout ce qui est vulgaire. C’était l’absence et non pas l’impossibilité de l’intérêt pour quelque chose. Depuis que son père était gouverneur de la citadelle, Clélia se trouvait heureuse, ou du moins exempte de chagrins, dans son appartement si élevé. Le nombre effroyable de marches qu’il fallait monter pour arriver à ce palais du gouverneur, situé sur l’esplanade de la grosse tour, éloignait les visites ennuyeuses, et Clélia, par cette raison matérielle, jouissait de la liberté du couvent ; c’était presque là tout l’idéal de bonheur que, dans un temps, elle avait songé à demander à la vie religieuse. Elle était saisie d’une sorte d’horreur à la seule pensée de mettre sa chère solitude et ses pensées intimes à la disposition d’un jeune homme, que le titre de mari autoriserait à troubler toute cette vie intérieure. Si par la solitude elle n’atteignait pas au bonheur, du moins elle était parvenue à éviter les sensations trop douloureuses.