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du plus grand sang-froid ouvrir la bibliothèque, revint avec un volume des Fables de La Fontaine ; elle le feuilleta quelques instants, puis dit au prince, en le lui présentant :

— Je supplie Votre Altesse de lire toute la fable.


LE JARDINIER ET SON SEIGNEUR
Un amateur de jardinage

Demi-bourgeois, demi-manant,

Possédait en certain village

Un jardin assez propre, et le clos attenant.
Il avait de plant vif fermé cette étendue :
Là croissaient à plaisir l’oseille et la laitue,
De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet,
Peu de jasmin d’Espagne et force serpolet.
Cette félicité par un lièvre troublée
Fit qu’au seigneur du bourg notre homme se plaignit.
Ce maudit animal vient prendre sa goulée
Soir et matin, dit-il, et des pièges se rit ;
Les pierres, les bâtons y perdent leur crédit
Il est sorcier, je crois. — Sorcier ! je l’en défie,
Repartit le seigneur : fût-il diable, Miraut,
En dépit de ses tours, l’attrapera bientôt.
Je vous en déferai, bonhomme, sur ma vie.
— Et quand ? — Et dès demain, sans tarder plus longtemps.
La partie ainsi faite, il vient avec ses gens.
— Çà, déjeunons, dit-il ; vos poulets sont-ils tendres ?
L’embarras des chasseurs succède au déjeuner.

Chacun s’anime et se prépare

Les trompes et les cors font un tel tintamarre

Que le bonhomme est étonné.

Le pis fut que l’on mit en piteux équipage
Le pauvre potager. Adieu planches, carreaux ;