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te donne que deux jours pour te réjouir à Casal-Maggiore. Pour que la vente soit valable, dis que c’est une affaire qui remonte à plus d’un an. Reviens me rejoindre à Belgirate, et cela sans le moindre délai ; Fabrice ira peut-être en Angleterre où tu le suivras.

Le lendemain de bonne heure la duchesse et Fabrice étaient à Belgirate.

On s’établit dans ce village enchanteur ; mais un chagrin mortel attendait la duchesse sur ce beau lac. Fabrice était entièrement changé ; dès les premiers moments où il s’était réveillé de son sommeil, en quelque sorte léthargique, après sa fuite, la duchesse s’était aperçue qu’il se passait en lui quelque chose d’extraordinaire. Le sentiment profond par lui caché avec beaucoup de soin était assez bizarre, ce n’était rien moins que ceci : il était au désespoir d’être hors de prison. Il se gardait bien d’avouer cette cause de sa tristesse, elle eût amené des questions auxquelles il ne voulait pas répondre.

— Mais quoi ! lui disait la duchesse étonnée, cette horrible sensation lorsque la faim te forçait à te nourrir, pour ne pas tomber, d’un de ces mets détestables fournis par la cuisine de la prison, cette sensation, y a-t-il ici quelque goût singulier, est-ce que je m’empoisonne en cet