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teau de Grianta. Sur la fin de sa vie, son bon ami Galéas, duc de Milan, l’envoie visiter un château-fort sur notre lac ; on craignait une nouvelle invasion de la part des Suisses. — Il faut pourtant que j’écrive un mot de politesse au commandant, lui dit le duc de Milan en le congédiant ; il écrit et lui remet une lettre de deux lignes ; puis il la lui redemande pour la cacheter, ce sera plus poli, dit le prince. Vespasien del Dongo part, mais en naviguant sur le lac, il se souvient d’un vieux conte grec, car il était savant ; il ouvre la lettre de son bon maître et y trouve l’ordre adressé au commandant du château, de le mettre à mort aussitôt son arrivée. Le Sforce, trop attentif à la comédie qu’il jouait avec notre aïeul, avait laissé un intervalle entre la dernière ligne du billet et sa signature ; Vespasien del Dongo y écrit l’ordre de le reconnaître pour gouverneur général de tous les châteaux sur le lac, et supprime la tête de la lettre. Arrivé et reconnu dans le fort, il jette le commandant dans un puits, déclare la guerre au Sforce, et au bout de quelques années il échange sa forteresse contre ces terres immenses qui ont fait la fortune de toutes les branches de notre famille, et qui un jour me vaudront à moi quatre mille livres de rente.