Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, I, 1927, éd. Martineau.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieue sur ce beau lac si tranquille et qui réfléchissait si bien la profondeur des cieux ! Il entendit ouvrir la porte d’en bas du clocher : c’était la vieille servante de l’abbé Blanès, qui apportait un grand panier ; il eut toutes les peines du monde à s’empêcher de lui parler. Elle a pour moi presque autant d’amitié que son maître, se disait-il, et d’ailleurs je pars ce soir à neuf heures ; est-ce qu’elle ne garderait pas le secret qu’elle m’aurait juré, seulement pendant quelques heures ? Mais, se dit Fabrice, je déplairais à mon ami ! je pourrais le compromettre avec les gendarmes ! et il laissa partir la Ghita sans lui parler. Il fit un excellent dîner, puis s’arrangea pour dormir quelques minutes ; il ne se réveilla qu’à huit heures et demie du soir, l’abbé Blanès lui secouait le bras, et il était nuit.

Blanès était extrêmement fatigué, il avait cinquante ans de plus que la veille. Il ne parla plus de choses sérieuses ; assis sur son fauteuil de bois, embrasse-moi, dit-il à Fabrice. Il le reprit plusieurs fois dans ses bras. La mort, dit-il enfin, qui va terminer cette vie si longue, n’aura rien d’aussi pénible que cette séparation. J’ai une bourse que je laisserai en dépôt à la Ghita, avec ordre d’y puiser pour ses besoins, mais de te remettre ce qui restera