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du de loin sur le lac, et adouci par le balancement des eaux ; ce bruit singulier et qui avait fait si souvent la joie de son enfance chassa les idées un peu trop sérieuses dont notre héros était assiégé ; il alla chercher la grande lunette astronomique de l’abbé, et reconnut la plupart des hommes et des femmes qui suivaient la procession. Beaucoup de charmantes petites filles que Fabrice avait laissées à l’âge de onze ou douze ans étaient maintenant des femmes superbes, dans toute la fleur de la plus vigoureuse jeunesse ; elles firent renaître le courage de notre héros, et pour leur parler il eût fort bien bravé les gendarmes.

La procession passée et rentrée dans l’église par une porte latérale que Fabrice ne pouvait apercevoir, la chaleur devint bientôt extrême même au haut du clocher ; les habitants rentrèrent chez eux et il se fit un grand silence dans le village. Plusieurs barques se chargèrent de paysans retournant à Belagio, à Menagio et autres villages situés sur le lac ; Fabrice distinguait le bruit de chaque coup de rame ; ce détail si simple le ravissait en extase ; sa joie actuelle se composait de tout le malheur, de toute la gêne qu’il trouvait dans la vie compliquée des cours. Qu’il eût été heureux en ce moment de faire une