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le palais tous les jours quand midi sonnait à la grande horloge. Le prince alla lui-même un peu avant midi disposer d’une certaine façon la persienne d’un entre-sol tenant à la pièce où son Altesse s’habillait. Il retourna dans cet entre-sol un peu après que midi eut sonné, il y trouva le soldat ; le prince avait dans sa poche une feuille de papier et une écritoire, il dicta au soldat le billet que voici :

« Votre Excellence a beaucoup d’esprit, sans doute, et c’est grâce à sa profonde sagacité que nous voyons cet État si bien gouverné. Mais, mon cher comte, de si grands succès ne marchent point sans un peu d’envie, et je crains fort qu’on ne rie un peu à vos dépens, si votre sagacité ne devine pas qu’un certain beau jeune homme a eu le bonheur d’inspirer, malgré lui peut-être, un amour des plus singuliers. Cet heureux mortel n’a, dit-on, que vingt-trois ans, et, cher comte, ce qui complique la question, c’est que vous et moi nous avons beaucoup plus que le double de cet âge. Le soir, à une certaine distance, le comte est charmant, sémillant, homme d’esprit, aimable au possible ; mais le matin, dans l’intimité, à bien prendre les choses, le nouveau venu a peut-être