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entichés de cette erreur, j'étais meilleur que je ne le suis actuellement, j'étais ce qu'on appelle tout cœur. Cette folie me donna quelques moments de la plus divine illusion, dont celles mêmes qui en étaient la cause ne se doutèrent pas ou, qu'elles ne purent comprendre ; mais, en général, elle me donna une existence mélancolique, j'étais misanthrope à force d'aimer les hommes, c'est-à-dire que je haïssais les hommes tels qu'ils sont, à force de chérir des êtres chimériques, tels que Saint-Preux, milord Edouard, etc., etc. Quelque­fois je croyais en trouver, je me livrais à eux, ils me trompaient, tout en agissant le plus honnêtement du monde avec moi, je croyais avoir à me plaindre d'eux. Je m'en plaignais et devenais sans cesse plus misanthrope, nourri dans ma folie par la mélancolie, qui est un sentiment, profond et doux à la vanité ; il consiste, comme tu sais, à se dire : « Je méritais un meilleur sort ; si bon, comment ne puis-je pas trouver des hommes tels que moi ? » Le hasard m'a fait bavarder sur cette folie dont j'ai eu tant de peine à me guérir, si tant est que je le sois, et comme tu te donnes la même éducation que moi, celle des livres, j'ai voulu te prévenir contre une erreur qui peut faire ton malheur éternel.