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talent que l’Angleterre a produits. Une de ses maximes favorites était que : « Les Anglais ne sont impolis que par grossièreté. »

Des relations de société s’établirent, pendant l’automne de 1816, entre Beyle et lord Byron ; elles prirent naissance dans la loge de M. Lodovico de Brême, au théâtre de la Scala à Milan. Des rapports d’âge, plus encore que de caractère, les rapprochèrent ; car il existait entre leurs goûts et leurs penchants de notables différences. Beyle éprouvait le besoin impérieux de se produire dans le monde. Lord Byron, au contraire, naturellement mélancolique, souvent misanthrope, fuyait toute réunion et recherchait la solitude[1]. Les usages, les mœurs, la combinaison des lois civiles avec les règles imposées par la religion, tout lui semblait absurde dans l’organisation des sociétés européennes. Sa vie, si courte, fut un effort continuel pour s’affranchir des entraves qu’il voyait partout opposées à nos penchants et aux droits que nous tenons de la nature. L’Angleterre, aux yeux de Byron, ne valait pas mieux que le reste ; il professait même pour elle un profond éloignement. Une atmosphère chargée de brouillards et un feu de charbon de terre endormaient son génie ; il lui fallait un soleil ardent et la vue d’un ciel bleu pour donner essor à ses facultés. Aussi quitta-t-il sa patrie à vingt ans pour n’y revenir qu’un moment, et aller mourir en Grèce à l’âge de trente-six ans.

Beyle partageait un peu cet esprit de révolte contre la civilisation moderne ; ce fut là probablement le secret lien des rapports qui existèrent entre lui et Byron. Quoi qu’il en soit, ces deux hautes intelligences se recherchèrent, se plurent ; mais voilà tout ; car, on le comprend, il ne pouvait exister entre eux d’étroite sympathie. Cependant tout indique que l’un et l’autre trouvèrent du plaisir à se rencontrer, à se lier par un commerce d’idées ; tous deux conservèrent un souvenir agréable de ces rapports momentanés. Beyle a toujours

  1. Ce qui ne l’empêchait pas d’entrer dans une grande colère lorsqu’il se voyait comparé à J. J. Rousseau : probablement parce que la qualité de gentilhomme avait manqué au philosophe.