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Si Octave me préférait à la fortune et à l’appui qu’il peut attendre de la famille d’une épouse, son égale pour le rang, nous pourrions aller vivre dans la solitude. Pourquoi ne pas passer dix mois de l’année dans cette jolie terre de Malivert, en Dauphiné, dont il me parle souvent ? Le monde nous oublierait bien vite. — Oui ; mais moi, je n’oublierais pas qu’il est un lieu sur la terre où je suis méprisée, et méprisée par les âmes les plus nobles.

Voir l’amour s’éteindre dans le cœur d’un époux qu’on adore est le plus grand de tous les malheurs pour une jeune personne née avec de la fortune ; eh bien, ce malheur si affreux ne serait encore rien pour moi. Même quand il continuerait à me chérir, chaque jour serait empoisonné par la crainte qu’Octave ne vînt à penser que je l’ai préféré à cause de la différence de nos fortunes. Cette idée ne se présentera pas à lui, je veux le croire ; des lettres anonymes, comme celles qu’on adresse à madame de Bonnivet, viendront la mettre sous ses yeux. Je tremblerai à chaque paquet qu’il recevra de la poste. Non, quoi qu’il puisse arriver, il ne faut jamais accepter la main d’Octave ; et le parti commandé par l’honneur est aussi le plus sûr pour notre bonheur.

Le lendemain du jour qui fut si heureux pour Armance, mesdames de Malivert et de Bonnivet allèrent s’établir dans un joli château caché dans les bois qui couronnent les hauteurs d’Andilly. Les médecins de madame de Malivert lui avaient recommandé des promenades à cheval et au pas ; et dès le lendemain de son arrivée à Andilly, elle voulut essayer deux charmants petits poneys qu’elle avait fait venir d’Écosse pour Armance et pour elle. Octave accompagna ces dames dans leur première promenade. On avait à peine fait un quart de lieue, qu’il crut remarquer un peu plus de réserve dans les manières de sa cousine à son égard, et surtout une disposition marquée à la gaieté.