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parence, et qui est passé aux commissions secrètes. — Est-ce qu’on soupçonne madame de Bonnivet de quelque galanterie ? — Ah ! mon Dieu, non, monsieur. Les commissions secrètes sont pour la nouvelle religion. C’est une Bible, peut-être, que madame la marquise envoie à monsieur en grand secret. Monsieur a pu reconnaître l’écriture de madame Rouvier, la femme de chambre de madame la marquise. Octave regarda sous la cheminée et se fit donner la lettre qui avait volé au delà de la flamme et n’était point brûlée. Il vit avec surprise que l’on savait fort bien qu’il lisait Helvétius, Bentham, Bayle et autres mauvais livres. On lui en faisait un reproche. La vertu la plus pure ne saurait en garantir, se dit-il à lui-même ; dès qu’on est sectaire, l’on descend à employer l’intrigue et l’on a des espions. C’est apparemment depuis la loi d’indemnité que je suis devenu digne que l’on s’occupe de mon salut et de l’influence que je puis avoir un jour.

Pendant le reste de la journée, la conversation du marquis de Malivert, du commandeur et de deux ou trois amis véritables que l’on envoya chercher pour dîner, fut une allusion presque continuelle et d’assez mauvais goût au mariage d’Octave et à sa nouvelle position. Encore ému de la crise morale qu’il avait eue à soutenir pendant la nuit, il fut moins glacial que de coutume. Sa mère le trouvait plus pâle, et il s’imposa le devoir, sinon d’être gai, du moins de ne paraître s’occuper que d’idées conduisant à des images agréables ; il y mit tant d’esprit, qu’il parvint à faire illusion aux personnes qui l’entouraient. Rien ne put l’arrêter, pas même les plaisanteries du commandeur sur l’effet prodigieux que deux millions produisaient sur l’esprit d’un philosophe. Octave profita de son étourderie prétendue pour dire que, fût-il prince, il ne se marierait pas avant vingt-six ans, c’était l’âge où son père s’était marié. — Il est évident que ce garçon-là nourrit la secrète am-