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ton sévère de l’amitié, et cherchant à cacher la pitié trop réelle que lui inspiraient ses chagrins. Par exemple, vous qui êtes d’une politesse parfaite avec tout le monde, pourquoi n’avoir pas paru avant-hier au bal de madame de Claix ? — Parce que ce sont ses sots compliments au bal d’il y a six mois, qui m’ont valu la honte d’avoir tort avec de jeunes paysans portant un sabre. — À la bonne heure, reprit mademoiselle de Zohiloff ; mais remarquez que vous trouvez toujours des raisons pour vous dispenser de voir la société. Il ne faudrait pas ensuite vous plaindre de l’isolement où vous vivez. — Ah ! c’est d’amis que j’ai besoin, et non pas de voir la société. Est-ce dans les salons que je rencontrerai un ami ? — Oui, puisque vous n’avez pas su le trouver à l’école polytechnique. — Vous avez raison, répondit Octave après un long silence ; je vois comme vous en ce moment, et demain, lorsqu’il sera question d’agir, j’agirai d’une manière opposée à ce qui me semble raisonnable aujourd’hui, et tout cela par orgueil ! Ah ! si le ciel m’avait fait le fils d’un fabricant de draps, j’aurais travaillé au comptoir dès l’âge de seize ans ; au lieu que toutes mes occupations n’ont été que de luxe ; j’aurais moins d’orgueil et plus de bonheur… Ah ! que je me déplais à moi-même !… »

Ces plaintes, quoique égoïstes en apparence, intéressaient Armance ; les yeux d’Octave exprimaient tant de possibilité d’aimer et quelquefois ils étaient si tendres !

Elle, sans se le bien expliquer, sentait qu’Octave était la victime de cette sorte de sensibilité déraisonnable qui fait les hommes malheureux et dignes d’être aimés. Une imagination passionnée le portait à s’exagérer les bonheurs dont il ne pouvait jouir. S’il eût reçu du ciel un cœur sec, froid, raisonnable ; avec tous les autres avantages qu’il réunissait d’ailleurs, il eût pu être fort heureux. Il ne lui manquait qu’une âme commune.