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à creuser le lit du Kitangoulé, afin que ses canots pussent se rendre dans l’Oujiji, où il voulait établir des relations commerciales. Ce rapport coïncidant avec cette opinion que le Tanganika a un déversoir n’importe où, mais en a un, opinion qui est celle du docteur, rendait celui-ci très-partial pour notre Zanzibarite. En somme, nous allions voir.

Le jour suivant, deux heures après le coucher du soleil, nous passions devant le delta du Mougéré, rivière qui donne son nom au district limitrophe de celui que gouverne Makamba. En face de la plus méridionale des trois branches de son embouchure, une différence frappante s’observa dans la couleur de l’eau ; la ligne de démarcation entre les deux ondes était nettement tracée d’orient en occident : d’un côté le vert clair et transparent du lac, de l’autre un flot jaune et bourbeux.

Peu de temps après notre passage devant la première bouche, nous vîmes la seconde branche, puis la troisième. Chacune d’elles avait seulement quelques mètres de large ; mais toutes les deux roulaient assez d’eau pour que nous ayons pu les remonter à plusieurs perches de l’embouchure.

En amont de sa troisième branche, la rivière formait une courbe profonde d’où s’apercevaient des villages groupés sur les deux bords, villages qui appartenaient à Makamba, et dans lesquels ce chef avait sa résidence.

Jamais d’homme blanc n’avait été vu par les indigènes, qui naturellement accoururent en foule pour nous voir débarquer. Tous les hommes avaient à la main une grande lance ; quelques-uns y joignaient une espèce de casse-tête, et çà et là se voyait une petite hache.

Nous fûmes conduits à une hutte que nous partageâmes, le docteur et moi. Ce qui arriva ensuite ne m’a laissé qu’un vague souvenir ; car la fièvre me ressaisit, pour la première fois depuis mon départ de l’Ounyanyembé. Je me rappelle confusément les efforts que je faisais pour deviner l’âge que pouvait avoir Makamba, et me souviens que, dans mes instants lucides, je voyais Livingstone auprès de moi, que je sentais sa main toucher la mienne ou se poser sur mon front avec une douceur infinie.

De Bagamoyo à l’Ounyanyembé, j’avais eu la fièvre à diverses reprises ; mais personne n’avait été là pour diminuer mes souffrances, ou pour éclairer la sombre perspective qui se déploie aux yeux du voyageur malade et solitaire. Depuis trois mois la fièvre ne m’était pas revenue ; mais je regrettais à peine son retour,