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leurs. « Mais comment avez-vous pu passer ? » C’était là leur surprise.

Souzi revint bientôt, toujours courant, me prier de lui dire comment on m’appelait. Le docteur, ne voulant pas le croire, lui avait demandé mon nom ; et il n’avait su que répondre.

Mais pendant les courses de Souzi la nouvelle que cette caravane, dont les fusils brûlaient tant de poudre, était bien celle d’un blanc, avait pris de la consistance. Les plus marquants des Arabes du village, Mohammed ben Séli, Séid ben Médjid, Mohammed ben Ghérib, d’autres encore, s’étaient réunis devant la demeure de Livingstone ; et ce dernier était venu les rejoindre pour causer de l’événement.

Sur ces entrefaites la caravane s’arrêta, le kirangozi en tête, portant sa bannière aussi haut que possible.

« Je vois le docteur, monsieur, me dit Sélim. Comme il est vieux ! »

Que n’aurais-je pas donné pour avoir un petit coin de désert où, sans être vu, j’aurais pu me livrer à quelque folie : me mordre les mains, faire une culbute, fouetter les arbres ; enfin donner cours à la joie qui m’étouffait ! Mon cœur battait à se rompre ; mais je ne laissais pas mon visage trahir mon émotion, de peur de nuire à la dignité de ma race.

Prenant alors le parti qui me parut le plus digne, j’écartai la foule, et me dirigeai, entre deux haies de curieux, vers le demi-cercle d’Arabes, devant lequel se tenait l’homme à barbe grise.

Tandis que j’avançais lentement, je remarquais sa pâleur et son air de fatigue. Il avait un pantalon gris, un veston rouge et une casquette bleue, à galon d’or fané. J’aurais voulu courir à lui ; mais j’étais lâche en présence de cette foule. J’aurais voulu l’embrasser ; mais il était Anglais, et je ne savais pas comment je serais accueilli[1].

  1. « Cet Anglais (un officier, je l’ai su plus tard) revenait de l’Inde ; j’arrivais directement d’Angleterre, dit Kinglake ; nous nous trouvions alors dans le désert de Syrie, à peu près à moitié chemin de nos points de départ respectifs. Comme nous approchions l’un de l’autre, je me demandai si nous nous parlerions ; je me dis que probablement il m’accosterait ; et, dans le cas où il en serait ainsi, j’étais prêt à me montrer aussi aimable, aussi causeur qu’il m’est possible de l’être avec ma nature. Mais, en même temps je pensai que je n’avais rien à lui dire. Entre civilisés, n’avoir rien à dire n’est certainement pas une excuse pour ne pas parler ; mais je suis timide, je suis indolent, je n’avais pas envie de m’arrêter et d’échanger, comme en visite, des phrases banales au milieu de ces grandes solitudes. De son côté, le voyageur a peut-être pensé de même ; car excepté un léger salut, nous avons passé l’un auprès de l’autre comme nous l’aurions fait dans Bond Street. » (Kinglake, Eothen.)