Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/274

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partout, et fît sentir, même aux natures incultes qui m’entouraient, l’exquise jouissance du repos dans les vastes solitudes.

Au dehors, pas d’autres bruits que l’appel d’un florican ou d’une pintade égarés ; la voix rauque des grenouilles, coassant dans l’eau voisine, ou le chant des grillons, qui semblait bercer le jour et l’inviter au sommeil. À l’intérieur du kraal, le glouglou provoqué par l’aspiration de l’éther bleuâtre que les fumeurs tiraient des gourdes qui leur servaient de narghilés. Couché sur mon tapis, ayant pour dôme l’épais feuillage, aux lèvres ma courte écume de mer, je laissai courir mon esprit. Malgré la beauté de cette lueur grise dont le ciel était éclairé, malgré la sérénité de l’air qui nous enveloppait, il s’éloigna d’abord et me conduisit en Amérique, près de ceux que j’aime. Puis revenant à la réalité, il me ramena à ma tâche incomplète, à l’homme qui, pour moi, était un mythe ; à celui que je cherchais, qui peut être était mort, peut-être bien loin, peut-être à côté de nous, dans cette même forêt dont les arbres me dérobaient l’horizon ; tout près de moi et aussi caché à mes regards que s’il eût été dans son petit cottage d’Ulva. Qui pouvait le savoir ?

J’étais cependant heureux ; et bien qu’ignorant ce qu’il m’importait le plus de connaître, je ressentais une certaine quiétude, une satisfaction indéfinissable.

Mais pourquoi cette impuissance de l’homme ? Pourquoi faut-il qu’il aille si lentement où l’appellent ses désirs, qu’il franchisse pas à pas des centaines de milles, pour éclaircir les doutes qui le tourmentent ? Que ne pouvais-je, d’un vol aussi rapide que ma pensée, résoudre cette question qui me revenait sans cesse : « Vit-il encore ? »

« Oh ! sois patient, me dis-je à moi-même. Tu as un bonheur que les autres hommes peuvent t’envier : la conscience que la mission que tu as à remplir est sainte. Qu’aujourd’hui, cela le suffise. Marche et espère ! »

Le lendemain, 2 octobre, nous étions en route pour Manyéra, une longue étape de six heures et demie. Le soleil était d’une ardeur excessive, mais les mtondous et les miombos, qui composaient la forêt, ne laissaient entre eux que l’intervalle nécessaire à leur développement et nous protégeaient de leur ombre. Le sentier se déroulait sur un sol rouge et ferme que rien n’obstruait ; la marche était facile ; pas d’autre ennui que les attaques de la tsétsé, qui abonde en cet endroit, et, qu’en raison de sa piqûre, les indigènes ont nommée panga, c’est-à-dire épée.