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forêt, la vie exubérante que j’avais à cette époque, rien n’était oublié.

Puis je me rappelai qu’une fois, nous demeurions alors près duMississipi, je descendis la grande rivière longtemps, longtemps, — des centaines de milles — avec des géants osseux, rudes bateliers du fleuve, et qu’un vieillard chéri salua mon retour comme une résurrection.

Puis des voyages à pied à travers la France et l’Espagne. Chez les Kourdes, des aventures sans nombre. Puis en Amérique : des champs de bataille, la guerre des buissons, la lutte rampante ; les raines d’or, la Prairie, les Indiens, les terres du Far-West ; le coup douloureux lorsque en revenant d’un pays sauvage je ne revis plus l’homme affectueux que j’appelais mon père ; et la vie ardente, agitée qui suivit.

Tout s’arrêta. « Miséricorde ! sommes-nous au 21 ?

— Oui, reprit Shaw ; voilà quinze jours que vous avez le délire.

Les autres l’affirmaient avec lui, et je datai mon journal du 21 juillet. C’était le 14 ; je n’avais été malade que huit jours ; tous mes gens se trompaient d’une semaine. L’erreur ne fut rectifiée que dans l’Oujiji, par l’examen que je fis avec Livingstone de l’almanach nautique. Le docteur, lui-même, était hors de date ; son journal se trouvait de trois semaines en avance.

Que Shaw eût perdu le quantième n’avait rien qui pût surprendre ; sa mémoire et jusqu’à sa raison, minées par la fièvre, s’éteignaient rapidement.

Sélim, que, tout d’abord, j’avais eu soin de mettre au courant de notre pharmacie et de l’usage des drogues, m’avait traité d’après les instructions écrites que je lui avais données, prévoyant le cas où la raison m’abandonnerait. Il me dit qu’il m’avait soutenu avec du thé dans lequel il mettait un peu d’eau-de-vie. En outre Shaw m’avait fait prendre trois ou quatre fois du gruau de sagou.

Toujours est-il que, deux jours après, j’avais recouvré mes forces, et que je les employais à soigner Shaw, qui, à son tour, était malade. Quand il fut rétabli, Sélim prit la fièvre et délira pendant quatre jours. Mais, le 28, chacun était debout et ranimé par la perspective d’un prochain combat avec Mirambo.

Le 29, au matin, j’avais cinquante hommes chargés d’étoffe, de grains de verre et de fil métallique, destinés à être portés dans l’Oujiji.