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notes

affection de l’âme est une passion dans l’exacte mesure seulement où il nous est impossible de la concevoir clairement, où par suite elle n’est pas nôtre. La faire nôtre par la pensée, c’est lui enlever tout ce qu’elle peut avoir de contraire à notre liberté. On commettrait une erreur en croyant que dans l’homme devenu libre rien ne doit subsister des passions qui l’ont dominé ; ce serait oublier qu’il y a dans toute passion quelque chose de rationnel, de volontaire et de légitime, comme il y a dans toute erreur un élément positif de vérité. La science la plus parfaite consisterait à s’expliquer, en les complétant, les perceptions que l’on a ; la vertu consiste à justifier, en les rattachant les unes aux autres, les affections qui donnent à l’âme son individualité. S’affranchir n’est pas se renoncer, mais s’ordonner ; la sagesse est achèvement, pleine possession de soi et non sacrifice.


Propositions I à XX. — Ces vingt premières propositions font connaître les moyens d’accroître la puissance de l’âme, c’est-à-dire de devenir autant qu’il est possible un être libre et raisonnable. Les passions étant mauvaises en ce qu’elles nous empêchent de penser (cf. Prop. 26 et 27, Partie IV), notre seule ressource est d’en faire des objets de pensée ; cela est possible, parce que rien n’est dans la nature absolument irrationnel : les affections du corps sont explicables scientifiquement, la physique mécaniste (celle de Descartes dûment améliorée) trouvera ici son application ; il est donc certain que les affections de l’âme peuvent être conçues clairement et par cela même réduites. Forts de cette assurance, nous pouvons, même quand notre savoir est encore très incomplet, nous appliquer à discipliner le corps de façon à n’être point surpris et accroître ainsi dans une large mesure l’activité de l’esprit.


Proposition I. — Rapprocher de cette proposition fondamentale la note relative au Scolie de la proposition, Partie II, qui renvoie à la Lettre 17. Sans une imagination active, nulle éducation rationnelle du corps n’est possible ; car il ne s’agit point de le dresser à l’accomplissement machinal de certaines besognes, mais de l’assouplir et discipliner, de telle façon qu’il prenne spontanément l’attitude convenable en présence d’un danger même imprévu (voir la définition du danger dans le Scolie de la Prop. 69, Partie IV). La pédagogie de Spinoza (une phrase du traité de la Réforme de l’entendement, § 5, plusieurs passages de l’Éthique, en particulier le chap. ix de l’Appendice de la quatrième partie, le montrent préoccupé du problème de l’éducation) eût été animée, ce me semble, d’un esprit très moderne : elle n’eût pas, cela va de soi, professé le dédain du corps,